LA PEUR CHEZ MAUPASSANT

" [...] - Permettez-moi de m'expliquer! La peur (et les hommes les plus hardis peuvent avoir peur), c'est quelque chose d'effroyable, une sensation atroce, comme une décomposition de l'âme, un spasme affreux de la pensée et du coeur, dont le souvenir seul donne des frissons d'angoisse. mais cela n'a lieu, quand on est brave, ni devant une attaque, ni devant la mort inévitable, ni devant toutes les formes connues du péril: cela a lieu dans certaines circonstances anormales, sous certaines influences mystérieuses en face de risques vagues. la vraie peur, c'est quelque chose comme une réminiscence des terreurs fantastiques d'autrefois. un homme qui croit aux revenants, et qui s'imagine apercevoir un spectre dans la nuit, doit éprouver la peur en toute son épouvantable horreur.
Moi, j'ai deviné la peur en plein jour, il y a dix ans environ. Je l'ai ressentie, l'hiver dernier, par une nuit de décembre.
Et, pourtant, j'ai traversé bien des hasards, bien des aventures qui semblaient mortelles. je me suis battu souvent. J'ai été laissé pour mort par des voleurs. J'ai été condamné, comme insurgé, à être pendu, en Amérique, et jeté à la mer du pont d'un bâtiment sur les côtes de Chiner. Chaque fois je me suis cru perdu, j'en ai pris immédiatement mon parti, sans attendrissment et même sans regrets.
Mais la peur, ce n'est pas cela."
La Peur, (extrait) Guy de Maupassant

"[...] Maupassant est une des figures les plus troublantes et les plus sympathiques de notre littérature du XIXe siècle.
Maupassant est, en effet, une mine inépuisable où tout le monde trouve à glaner; mais si les critiques et les littérateurs vont de préférence à ces pages d'un réalisme puissant qui, dès les premiers instants, ont assuré le succès et la popularité de notre grand conteur, les médecins et les psychologues, au contraire, fixent plus volontiers leur attention sur un nombre assez imposant de morceaux étranges qui jalonnent son œuvre et qui sont comme une sorte d'apparition momentanée, sur le champ de la conscience purement littéraire, du fond intime de l'écrivain surgissant au travers des lacunes fugitives du procédé.
[...] Il suffit de parcourir l’œuvre de Maupassant pour y retrouver, merveilleusement décrites, les diverses modalités de la peur, mais de la peur morbide seule, car, pour Maupassant, la peur physiologique n'existe pas; la peur n'existe, à son sentiment, que dans des circonstances anormales et sous certaines influences mystérieuses; il faut pour qu'elle puisse se développer, un frisson de mystère, une sensation d'épouvante hors nature. Ce n'est pas le surnaturel, c'est l'inexplicable peur de la nuit, du silence, des brusques malheurs. La peur pour Maupassant est donc automatique, instinctive, c'est bien la peur polygonale de Grasset. Cela est si vrai que, si Maupassant a pu trouver les termes propres à donner à ses lecteurs la sensation de la peur, il n'a pu donner aucune explication de son mécanisme, tant il est vrai que les peurs polygonales ne se raisonnent pas."

La peur dans l’œuvre de Maupassant, Archives d'Anthropologie criminelle, de médecine légale et de psychologie normale et pathologique, t. XXVIII, Dr Lucien Lagriffe
Publié par Sahaja Yoga et Fleurs de Bach

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